[EN]
Alea n°1 “Le nouvel ordre naturel, c’est le désordre urbain”.
Mathieu Tremblin.
Éditions Carton-pâte.
June 2016.
Digital print R° on 120 g mate paper.
29,7 × 42 cm.
35 pages.
Edition of 100.
15 €.
Editorial direction: Mathieu Tremblin.
Production, diffusion: Galerie-Partagée.fr.
Alea is an artist’s review in large-display about open-source urbanities. The review is available in copyleft under Creative Commons BY-SA Éditions Carton-Pâte website.
More informations : www.editionscartonpate.com.
[FR]
Alea n°1 “Le nouvel ordre naturel, c’est le désordre urbain”.
Mathieu Tremblin.
Éditions Carton-pâte.
Juin 2016.
Impression numérique R° sur papier mat 120 g.
29,7 × 42 cm.
35 pages.
100 exemplaires.
15 €.
Direction éditoriale : Mathieu Tremblin.
Production, diffusion : Galerie-Partagée.fr.
Alea est une revue d’artiste en placards sur les urbanités Libres. La revue est disponible en copyleft sous licence Art Libre sur le site des Éditions Carton-Pâte.
Plus d’informations : www.editionscartonpate.com.
Zenn Al Charif : Pour l’invitation que nous t’avons faite avec galerie-partagee.fr, la vitrine du lieu, Indice 50, qui accueille ta proposition est occultée par les pages d’une publication.
Peux-tu nous expliquer de quoi il s’agit ?
Mathieu Tremblin : Le geste en question reprend un principe d’occultation de vitrine réalisé par les propriétaires, les locataires ou les ouvriers qui procèdent à la réfection d’une échoppe à l’occasion d’un changement de bail. Le déploiement des pages d’un journal gratuit (petites annonces ou actualités) accrochées sur la surface en verre avec du ruban adhésif transparent recompose un chemin de fer partiel de l’édition (parce qu’il ne présente qu’une face du papier et que les pages sont imposées pour une reliure piquée à cheval). Il donne à voir une étape de mise en page sur ordinateur qui précède l’envoi à l’impression. L’accrochage de la publication démantelée renvoie à un état de chantier, qui fait écho à la phase de transition qu’elle soustrait au regard des passants et qui dans le même temps produit une esthétique par défaut.
La proposition présentée pour Indice 50 est une occurrence possible d’un tweet daté du 21 juin 2013 issu de mon compte de réseau social TwittŒuvres : « Utiliser les pages d’un livre d’artiste pour occulter la vitrine d’un magasin en travaux ». Puisque le contexte n’est pas une vitrine de magasin en travaux mais celle d’un atelier d’artistes, j’opère un déplacement de ce geste d’occultation réalisé avec les moyens du bord vers un geste éditorial dont la forme est pensée pour ce mode de lecture : une revue d’artiste en placards intitulée Alea, dont je réalise le premier numéro – ou plutôt le numéro zéro puisqu’il s’agit d’expérimenter cet espace afin d’en saisir la potentialité et d’en esquisser le devenir.
Le mode de diffusion publique en placards de cette revue s’inscrit dans la lignée de moyens d’expression citoyenne apparus au XIXe siècle avec l’avènement d’un espace public républicain à partir de la Révolution française : le placard et l’affiche comme mode d’information ou de revendication. Il s’inscrit aussi dans celle mis en œuvre à travers le développement exponentiel du livre d’artiste et des pratiques culturelles de don à l’étalage qui y sont affiliées à partir des années soixante avec l’apparition des techniques de reprographie grand public, et dont l’objet est de considérer l’auto-édition comme un moyen efficace de diffusion d’une pensée en acte dans la sphère publique au-delà des espaces dédiés à l’art.
ZAC : Peux-tu nous éclairer sur tes intentions quant au fonctionnement de la revue ?
MT : Un invité – usager, artiste, curateur, chercheur – déploie une pratique et une réflexion, une réflexion en pratique ou une pratique de la réflexion sur les urbanités libres à travers une publication à deux niveaux de lecture :
– une piste de réflexion faisant office d’exergue se déploie sur les pages : elle est pensée pour être lisible à l’échelle du corps lorsque la publication est placardée dans l’espace urbain ;
– un corpus textuel et/ou visuel correspondant à une veille urbaine sensible s’articule avec une conversation : il est pensé pour être lisible à l’échelle de la page.
La revue est conçue sur un principe de placards A3 imprimés recto. Le nombre de pages est déterminé en fonction de la surface à investir le jour de son lancement. Les pages sont assemblées avec des relieurs d’archives afin de pouvoir être dissociées et ré-affichées au besoin.
Chaque publication d’un numéro de la revue donne lieu à un temps de rencontre à l’endroit où la revue est placardée.
Cette forme éditoriale étant tournée vers l’espace public, une archive PDF téléchargeable et imprimable sous Creative Commons BY-SA est hébergée sur le site des Éditions Carton-pâte. Le modèle économique de la revue est basé sur le don, l’économie de moyens et l’auto-édition. Il permet une souplesse et une réactivité en phase avec l’urgence d’une pratique artistique processuelle et/ou situationnelle et avec la temporalité quotidienne des espaces dans lesquels elle vient s’insérer à l’occasion de sa diffusion, in vivo dans la ville ou en ligne sur Internet. En complément, une structure partenaire prend en charge la production et la diffusion d’une petite série d’exemplaires papier.
ZAC : Alea, aléa, aller à ?
MT : Alea, le nom de la revue, c’est étymologiquement un mot latin qui désigne « [le] jeu de dés [ou le] hasard ».
La notion de jeu est essentielle puisque, pour qu’il puisse avoir jeu, il faut qu’il y ait des règles. Et s’il y a des règles, cela veut dire qu’il est possible de jouer le jeu ou de jouer avec les règles du jeu même. Toute mise en œuvre d’une législation entraîne dans son sillage des conventions d’usages, qui éprouvent voire débordent les injonctions.
En français, en lien avec cette notion de hasard, aléa se définit comme un « événement imprévisible [ou] tour imprévisible que peuvent prendre les événements ». La revue Alea se concentre sur les urbanités libres, c’est-à-dire sur les usages des citoyens, au-delà du contrôle ou des prescriptions qui peuvent être énoncés par les législateurs et les gouvernants de la ville de maintes manières, que ce soit sur le mode fonctionnel, institutionnel ou commercial. Ce caractère imprévisible des mœurs urbaines est difficile à saisir selon des logiques d’analyse technocratiques, et donc souvent négligé, ignoré ou réprouvé par les pouvoirs publics. Ainsi, le policier autant que le passant aura tendance à constater les attitudes des citoyens par la présence de leurs traces. C’est pourquoi, la revue privilégie des invitations à des observateurs aguerris, des « experts du quotidien », pour produire des lectures de la ville sous forme d’enquêtes sensibles.
Enfin, il y a cette lecture phonétique du nom de la revue, « aller à », qui pointe un déplacement, qui est autant celui du corps de l’observateur sur le terrain urbain, que celui de la publication susceptible d’être produite et reproduite à partir de sa matrice numérique, et ainsi d’apparaître à diverses échelles ; écran, main, corps.
ZAC : Pour ce numéro, à l’échelle de la page, on trouve des photographies des traces d’usages que tu évoques.
MT : Ce corpus d’images réalisées avec un smartphone ces deux dernières années, commentées succinctement, met en lumière un rapport de force entre l’exercice de liberté du citoyen et la prescription de l’urbanisme. L’ambition est de saisir par l’expérience de la marche et du regard des particularités et des constantes sur un territoire, qui puissent constituer un socle pour identifier un langage commun aux métropoles vécues. Il s’agit de procéder à la manière d’un ichnologue, de s’intéresser aux actions et aux déplacements des citoyens dans le milieu urbain ; de pister les empreintes et de les interpréter comme des signes de pratiques, afin de pouvoir dessiner les contours du vivant dans la ville, qu’il soit de l’ordre du phénomène naturel – de l’usure – ou du geste intentionnel – de l’usage.
ZAC : On retrouve aussi des captures d’écran de tweets.
MT : Ces énoncés sont issus de mon compte TwittŒuvres dont l’objet est de recenser ma pensée quotidienne de l’interaction ou de l’intervention artistique dans la ville. Ils ont valeur d’incitation et esquissent le hors-champ d’une pratique qui s’établit à partir de ce travail journalier d’observation et d’analyse de la relation des habitants à leur environnement immédiat.
ZAC : À l’échelle de la vitrine, une phrase interpelle le passant : « Le nouvel ordre naturel, c’est le désordre urbain ».
Qu’est-ce que l’ancien ordre naturel, si le nouvel ordre est un désordre ?
MT : Cette formule est autant inaugurale que programmatique pour la revue, en regard d’une pensée de la ville comme un écosystème.
L’ancien ordre naturel serait celui avec lequel nous devons désormais composer en ce début de XXIe siècle : l’Anthropocène – soit une altération du biotope de notre planète à un niveau géologique. Cela veut dire que notre rapport à la Nature, comme espace à partir duquel nous nous définissons en tant qu’espèce, est bouleversé ; notre nature est devenue urbaine. La quasi intégralité de la planète est recouverte par la ville ou à défaut prise dans les maillages du réseau urbain. Je propose en miroir à cet état de fait manifeste du rapport minéral et fonctionnaliste que nous entretenons avec nos espaces de vie, de réintroduire un désir de désordre ; de considérer avec soin et bienveillance le chaos vivifiant que les énergies qui peuplent notre écosystème urbain libèrent.
Entretien avec Zenn Al Charif, juin 2016.
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