“Nouvelle vitrine pour Mathieu Tremblin”, Marie Brines, The Creators Project France, www.thecreatorsproject.vice.com, 6th July 2016.
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Les beaux jours arrivent, et les longues flâneries d’été reprennent. Dans la ville, notre âme baladeuse tombe aléatoirement sur de majestueux monuments, des recoins cachés pourvus du plus grand charme, ou des câbles USB servant de cordes à linge. Elle arpente les grandes avenues bordées d’aberrantes publicités, suit les traces de semelles prises dans le goudron frais, et fera bientôt aveuglément confiance aux enseignes lumineuses des kebabs. Quasiment convaincus que la ville file un drôle de coton, que tout autour de nous frôle le dérèglement, on butte tout à coup sur une curieuse vitrine.
Non non, il ne s’agit pas de prix réduits étiquetés sur de médiocres vêtements par ces temps de soldes : ce sont des pages d’un journal placardé qu’on perçoit. De loin, on distingue les mots : « Le nouvel ordre naturel, c’est le désordre urbain ». Comprendra qui veut. On s’approche de la devanture, et voici qu’apparaissent une trentaine de vues de rues, prises sur le vif. Elles nous rappellent aussitôt des situations familières, de l’ordre du déjà-vu. Surprenantes, les images font d’abord sourire. On finit par rire jaune.
La vitrine agit comme un miroir, se faisant le reflet des irrégularités de la cité. Ces anomalies, auxquelles on ne prête pas toujours attention, et que l’on ne saurait bientôt plus voir, c’est Mathieu Tremblin qui nous les révèle, avec humour et finesse. Tremblin analyse l’organisation de nos villes standardisées par le biais des forces autres. Il s’intéresse aux traces, aux tags, aux publicités détournées, ou à toute autre intervention non-artistique, qu’il voit comme une nouvelle prise de contrôle de la ville, par le citoyen. Fait relevant : si Mathieu Tremblin vient du milieu du street art, il ne se cantonne pas à documenter les occurrences des writers dans l’espace urbain, mais pense l’intervention urbaine autrement.
Invité par galerie-partagee.fr, l’artiste français occupe l’espace concis d’Indice 50, une vitrine d’exposition en plein quartier de Ménilmontant. Pour l’occasion, il publie le numéro zéro de la revue Alea, une revue destinée à réfléchir sur son sujet de recherche : les « urbanités libres ». Il placarde les pages de la revue sur la surface de la vitre, en un écho assumé aux textes juridiques fondateurs de la liberté de la presse et la liberté d’expression en France. « Le mode de diffusion publique en placards de cette revue s’inscrit dans la lignée des moyens d’expression apparus au XIXe siècle avec l’avènement d’un espace public républicain à partir de la Revolution française », explique l’artiste dans un entretien mené par Zenn Al Charif. En gros, la revue Alea pense sa forme, autant que sa diffusion : ses pages sont facilement dissociables pour pouvoir être affichées. Le titre alors déployé à l’échelle du corps, accroche et bouscule. Pour chaque numéro à venir, Mathieu Tremblin invitera un artiste, un chercheur, ou un usager à développer sa propre réflexion sur l’espace urbain. La revue se retrouvera en archive PDF téléchargeable et imprimable sous Creative Commons BY-SA, hébergée sur le site des Editions Carton-pâte. « Le modèle économique de la revue est basé sur le don, l’économie des moyens et l’auto-édition », explique l’artiste. Tremblin tient à l’en commun. Il y tient tellement qu’il se fait chier à mettre en page sa revue avec le logiciel Scribus.
Il partage aussi d’une autre façon : en postant ses statements sur Twitter. Le but du projet TwittŒuvre, qu’il tient à jour depuis 2010, est de réunir ses intentions d’œuvres, les brouillons inédits de ses actions, qui pourraient se réaliser un jour (ou pas). Si les posts ne sont que des mots, la force du verbe et de sa poésie nous offre mille possibilités. On se plaît à imaginer la forme finale, on pénètre dans la logique Tremblin.
Indice 50 est une vitrine tenue par les artistes Clémence de Montgolfier et Hugo Brégeau. Elle s’adresse aux passants et aux résidents du quartier, avant de chercher à briller aux yeux des amateurs d’art. Les deux responsables militent pour le dialogue, et choisissent avec perspicacité les artistes exposés. On retient d’ailleurs l’excellente exposition de Mako Ishizuka, invitée en avril dernier. Les efforts d’Indice 50 s’en ressentent, puisque la plupart des voisins s’arrêtent, discutent, et prennent le temps de se renseigner sur ce qu’ils voient.
Vous avez jusqu’au 5 septembre pour sillonner les rues avec un nouvel œil, pour reprendre le contrôle sur les forces urbanistiques, sans oublier un détour par Indice 50.
Marie Brines, juillet 2016.
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